Des envies d’ailleurs

Il est des occasions qui se font attendre parfois longtemps, parfois dans des conditions presque difficiles. Des occasions qui, quand elles se présentent enfin, ont le goût délicieux d’une récompense méritée.

Ce mois de mai 2020 arrive comme une délivrance après 8 semaines d’un confinement imposé par un redoutable virus.

Être confiné alors que le printemps survient tout juste. Un magnifique printemps qui laisse exploser mille couleurs, mille senteurs. Je n’oublierai pas ces gerbes de genêts d’un jaune éclatant, projetées vers le ciel d’un bleu limpide, tel un feu d’artifice. Ni leur parfum enivrant.

 

Souvent je me suis dit que la nature avait redoublé d’efforts pour illuminer nos journées de confinés, passées à l’observer à travers une fenêtre.

Un printemps qui voit partout renaître la vie animale et la vie végétale. Un printemps inondé chaque matin du chant des oiseaux célébrant leurs amourettes naissantes. Un printemps capable de dévoiler à nos yeux la fraîcheur d’une feuille de hêtre sublimée par les rayons d’un soleil généreux.

Le coucou chante, il a accompagné chacune de mes balades, réduites jusqu’à peu, à un kilomètre autour de la maison.

Un printemps qui regorge d’eau. J’entendrai longtemps le bouillonnement des ruisseaux, petits cours d’eau nés plus haut dans la montagne, qui drainent la vie.

 

 

Le Bès

C’est justement sur une des plus belles rivières du Massif Central que mes yeux se posent ce matin-là du 22 mai.

Le Bès. LA rivière de l’Aubrac.

Il est à peine 8 heures quand je traverse le village de La Chaldette, aux confins du Cantal et de la Lozère. L’eau dégringole sur les blocs arrondis de granite. Rien ne l’arrête, elle jaillit de partout, dans un décor inouï fait de pâturages verdoyants tapissés de fleurs sauvages. Le peintre a soigné son œuvre. Les petites touches de bouleaux dispersés çà et là complètent le tableau.

 

 

Ce matin-là, j’ai décidé d’aller enfin découvrir le Puy de la Tuile, un des sommets du plateau de l’Aubrac. Il n’est pas loin d’ici, sur la commune des Deux-Verges.

A la Chaldette, je franchis le pont qui enjambe le Bès. Arrive à un carrefour. J’ai un doute quant à la direction à prendre. Mieux vaut vérifier. Je me gare sur le bas-côté, saisis mon téléphone. Et alors que mes doigts tapent sur le clavier le nom Deux-Verges, je me demande à cet instant si le moteur de recherche que j’interroge ne va pas bifurquer lui dans une autre direction.

Erreur ma chère ! La réponse est sans ambiguïté : « Commune de France située dans le département du Cantal ». Irréprochable.

Un coup d’œil sur la carte affichée à l’écran et je vire à droite sur une jolie route bordée de pensées sauvages, de pâturages vallonnés et d’abondantes hêtraies.

Bientôt, le village des Deux-Verges apparaît. Un village typique avec ses corps de ferme habillés de granite et de pierre de lauze.

 

C’est un peu plus haut que débute ma randonnée du jour « Le sentier de l’apprenti botaniste ». Rien d’étonnant à ce titre au vu de la richesse botanique de l’Aubrac. Je gare la voiture et dégage du coffre le VTT qui va me servir de monture pour atteindre le sommet du Puy de La Tuile. Le descriptif sur mon papier annonce une vue panoramique. J’ai du mal à y croire puisque je suis face à un vaste massif forestier qui ne laisse pas percer, pour ce que j’en vois, un quelconque point de vue.

Le chemin est en bon état. Mon téléphone, ficelé au guidon, affiche clairement le tracé à suivre. Ça devrait aller.

Et je m’enfonce dans les bois, mêlés de pins et de hêtres. Rapidement, le dénivelé se fait sentir. Heureusement, la batterie du vélo prend le relais sur mes mollets de débutante. Je progresse allègrement sur cette piste de montagne qui s’engouffre dans la forêt. Elle borde une petite vallée. Précisément dans notre patois local, une « coureyre », à savoir un pâturage légèrement encaissé, traversé par un ruisseau. Un troupeau de vaches Aubrac termine tranquillement sa nuit. Toutes lèvent la tête pour me regarder passer. Méfiance. Les mères Aubrac veillent sur leurs petits, couchés quelque part dans l’herbe.

Je poursuis mon ascension. Une intersection, je prends à droite au moment où un lièvre détale à une vingtaine de mètres devant moi. Dérangé lui aussi. Une large courbe se dessine, je vais changer de versant. En contrebas du chemin, une tourbière retient mon attention. Je pose le vélo pour mieux découvrir cet espace humide. Les petits panonceaux, fixés sur le bord du tracé, renseignent sur la biodiversité de cette zone classée Espace Naturel Sensible.

Un chevreuil se sauve, juste le temps d’apercevoir son derrière blanc.

Je remonte sur mon vélo. Le dénivelé se renforce, puis le chemin jusque-là bien roulant, devient brusquement beaucoup plus difficile en pénétrant dans une plantation d’épicéas récemment exploitée. Les engins forestiers y ont creusé de profondes ornières et je peine à rouler dans ces monticules de boue séchée. Cela ne dure pas heureusement. Je progresse à présent sur un chemin herbeux, tout en montée, bordé de pins, de myrtilliers et de pieds de bruyère. Toujours dans les bois. Je comprends que le sommet n’est plus très loin. Une sorte de borne en métal se devine au loin. Je la dépasse et amorce une montée prononcée et caillouteuse.

Enfin, les pins rabougris d’altitude s’écartent pour laisser place à une éclaircie.

Récompense

Le sommet est là. Et soudain, je laisse derrière moi la forêt pour une ouverture inattendue sur un panorama exceptionnel.

L’Aubrac est à mes pieds. Plein sud, j’aperçois les estives où se perdent les burons, sur les hauteurs de Saint-Urcize. Les villages de la commune de Jabrun s’égrènent sous mes yeux. Mon regard est attiré par les Monts du Cantal vers le nord-ouest. Il faut dire que la chaîne montagneuse se détache parfaitement dans cette clarté matinale. Je continue mon tour d’horizon qui, tout naturellement, me conduit vers ma Margeride natale. J’aperçois le sommet du Mont-Mouchet. Il sait mon attachement à l’Aubrac et me pardonnera bien cette infidélité.

Je me penche alors sur la table d’orientation. Madrid… Lisbonne… Ici, au sommet du Puy de la Tuile, où le temps ne compte plus, où l’actualité grave s’oublie dans l’insouciance des paysages, ces deux noms de capitales européennes me semblent irréels.

Mon estomac réclame. J’apprécie le casse-croûte tiré de mon sac à dos, les yeux rivés vers d’autres montagnes. Un dernier coup d’œil sur cet horizon magique, baigné par le soleil et le chant des oiseaux.

J’enfourche mon vélo et amorce la descente caillouteuse et escarpée. Le chemin se transforme bientôt en une piste gravillonnée longeant des pâturages aux allures de jardins sauvages. Le coucou chante. Il m’accompagne encore.

Je perds rapidement de l’altitude et retrouve avec bonheur les sous-bois lumineux des hêtres aux feuilles naissantes. C’est certain, je siffle en roulant. Quelque refrain connu des gens de l’Aubrac, sûrement la célèbre « Ma vallée du Bès »… « c’est toi le paradis ». Cher Jean Vaissade.

La voiture m’attend.

Dans le village des Deux-Verges, je croise le facteur. Et me dis à cet instant, qu’il y a pire situation que celle d’un facteur sur l’Aubrac. Où six jours sur sept, au fil des saisons et des décors, même si les hivers sont parfois à craindre, chaque kilomètre de ce magnifique plateau n’est qu’enchantement.

Bref, moi je signe tout de suite.

Mai 2020

Si vous voulez vous-aussi découvrir le Puy de la Tuile, voici le PDF de l’itinéraire : Randonnée L’Apprenti botaniste.

A propos de l'auteur

Régine

Grandir dans le Cantal est une chance. Une curiosité naturelle et un sens de l’observation acquis au fil des ans, m’ont fait apprécier très tôt les paysages qui m’entourent. Les scènes de la vie aussi. Certaines ne sont plus, elles n’ont pas résisté au temps et à ses évolutions. D’autres les remplacent, pleines de charme et d’insolite. Appareil photo en main, je n’ai qu’un plaisir : immortaliser pour partager et transmettre. Et enseigner à mon tour. A méditer : “La nature est un professeur universel et sûr pour celui qui l'observe” (Carlo Goldoni).